Journée d’études : Voir le rap - clips et cultures visuelles des musiques hip-hop

Voir le rap : clips et cultures visuelles des musiques hip-hop

Journée d’études organisée par Lune Riboni et Keivan Djavadzadeh (CEMTI)

Université Paris 8 - Maison de la recherche (amphithéâtre MR002)

vendredi 16 décembre 2022

Pour certains, « le clip, en tant que tel, n’est aujourd’hui guère plus qu’une enveloppe qui recouvre une chanson » (Straw, 2018). Comment dès lors expliquer la popularité du streaming vidéo ? Celui-ci occupe aujourd’hui une place centrale dans la consommation de musique en ligne, à part quasiment égale avec le streaming audio par abonnement (IFPI, 2021). Les consommateurs de vidéo YouTube se désintéresseraient-ils de l’aspect visuel, écoutant les clips plus qu’ils ne les regarderaient (Kaiser et Spanu, 2018) ? Il paraît difficile d’imaginer que les auditeurs ne soient pas, dans le même temps, des spectateurs - surtout dans le cas du rap où l’image joue un rôle central. De fait, certains clips vidéo ont contribué à façonner la persona des artistes et participé de manière singulière au succès de morceaux devenus des « classiques ». Difficile en effet de penser à PNL sans avoir à l’esprit leur série de clips qui, de « Jusqu’au dernier gramme », véritable court-métrage de 29 minutes, à celui de « Au DD », tourné en haut de la tour Eiffel, les a fait entrer « dans la légende ». Le rappeur Fianso a lui aussi construit son image en faisant du clip vidéo une composante essentielle de son projet créatif, réalisant plusieurs clips dans les quartiers populaires les plus connus de l’hexagone, de la Seine-Saint-Denis aux quartiers nord de Marseille pour l’album « On est passés chez So ». Quant à Shay, c’est avec deux clips remarqués posant la question du regard qu’elle effectuait son retour, en 2018 avec « Jolie » et en 2022 avec « Da ».

Si les clips semblent aujourd’hui omniprésents et sont largement partagés et commentés en ligne, leur importance ne date pas de l’avènement des réseaux socionumériques et du streaming. Ils ont par ailleurs souvent servi à appuyer l’ancrage social et spatial des artistes, constitutif du genre musical (Guillard, 2017). Robin D. G. Kelley notait déjà au début des années 2000 que « le hip-hop, comme d’autres musiques populaires, est devenu un genre musical très visuel reposant sur des représentations visuelles attestant que l’artiste est issu des ghettos et d’un environnement difficile » (Kelley, 2001). Le vidéoclip ne sert par ailleurs pas uniquement à attester d’une appartenance à un territoire et un milieu social mais aussi à construire et alimenter une culture visuelle aux références multiples. Que serait le morceau « California Love » de 2Pac et Dr. Dre, sorti en 1995, sans le clip mythique inspiré de l’univers du film Mad Max ? Comme l’illustre cet exemple, de nombreux clips de rap s’inspirent explicitement du cinéma, à l’image de « Phénomène « , de Kekra, dont l’univers post-apocalyptique évoque celui de Blade Runner 2049, ou encore le mythique « L’empire du côté obscur » d’IAM inspiré par la saga Star Wars. Les liens ne sont néanmoins pas à sens unique et le rap a également nourri les représentations cinématographiques et sérielles. Ainsi, pour ne prendre que les exemples les plus connus, du film Do the Right Thing de Spike Lee ou de la série The Wire de David Simon.

Cette journée d’étude sera l’occasion de saisir une part des enjeux de représentation qui traversent les vidéoclips de rap, en particulier dans la tension entre évocations verbales et visuelles. Quelle forme prend la mise en visibilité des rapports sociaux, alors même que le rap est largement associé à la jeunesse ethnoracialisée des classes populaires ? Comment les clips sont-ils reçus par différents publics, nourrissant parfois des controverses sur les questions de sexisme et de (anti)racisme ? Comment les clips sont-ils construits, et par qui ? Quelles influences nourrissent l’imaginaire visuel des clips de rap ? Quelles différences esthétiques dans le temps ou selon les espaces géographiques ? Quel rapport les artistes entretiennent-ils et elles à l’image, et à leur image ? C’est à ces questions que les différent·es intervenant·es apporteront des éléments de réponse.

Introduction : 10h30

 Ulrike Lune Riboni (maîtresse de conférences en Sciences de l’information et de la communication, Université Paris 8 / Cemti) et Keivan Djavadzadeh (maître de conférences en Sciences de l’information et de la communication, Université Paris 8 / Cemti)

Circulations des esthétiques : 10h45-12h15

Marcos Roberto Pina, « Le rôle des vidéo-clips dans la diffusion du genre musical funk de São Paulo » (Post-Doctorant en Sociologie, UNICAMP – Brésil)

Keivan Djavadzadeh, « Des esthétiques croisées ou contraires ? Penser la circulation des modèles de féminité dans le rap entre les États-Unis et la France » (maître de conférences en Sciences de l’information et de la communication, Université Paris 8 / Cemti)

Cultures visuelles du rap français : 14h-15h15

Emily Shuman, « Rap français et médias de masse : des cultures visuelles complices ? » (Assistant professor en cultures francophones, Radboud University – Pays-Bas)

Maureen Lepers, « Silhouettages dans l’octogone : construire les corps du rap dans les clips de Booba » (docteure en Cinéma et Audiovisuel, Université Paris 3 / IRCAV)

Politiques du regard : 15h30-16h45

Célia Sauvage, « Les clips de Lil Nas X : le queer gaze et la résistance contre l’hétéronormativité » (docteure en Études cinématographiques et audiovisuelles, Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3 / IRCAV)

Emmanuelle Carinos Vasquez, « “Monsieur Nick Conrad n’est pas Edward Norton“. Le rôle des clips dans la pénalisation politico-judiciaire du rap français contemporain. » (doctorante en sociologie, Université Paris 8 / Cresppa-GTM)

Conclusion : 17h30