Les thèmes de recherche

Le projet scientifique du CÉMTI se décline en quatre axes (le nombre d’axes peut encore changer).

  • Approches communicationnelles de l’image et du regard
  • Art, politique et expériences spectatorielles
  • Médias, médiatisations et logiques d’appropriation
  • Logiques de production des plateformes et usages résistants

Approches communicationnelles de l’image et du regard

Les pratiques visuelles paraissent envahir notre quotidien, le réarchitecturer et agencer des figures (fixes, animées, hybrides) et formes de production, de réception et de sociabilité. Le but de cet axe thématique est d’interroger les nouvelles « limites de l’interprétation » (Eco, 1992) de l’image photographique et de l’image en mouvement, dans un contexte de production, d’édition, de mise en circulation et de réception caractérisé par un recours de plus en plus généralisé aux dispositifs numériques. Le questionnement porte en parallèle sur les processus de construction du regard et des catégories de perception. Par quels apprentissages et quelles modalités de socialisation l’œil en vient-il à « voir » ou à « ne pas voir » tel ou tel élément du monde social ? Quel rôle jouent les appareils et les outils-logiciels industriels avec leurs réglages et filtres dans les pratiques de création et de réception des images (Jeanneret et Souchier, 2005) ? Quelle importance revêtent les formes de sociabilité dans lesquelles les images sont prises ou dont elles sont le support (Beyaert-Geslin, 2017) ? Le lien entre l’image photographique ou filmique et le social (conversation, sociabilité, socialisation) ne s’inaugure bien sûr pas avec l’avènement des technologies de l’information et de la communication. Il semblerait plutôt que la sociabilité soit imbriquée dans l’essence même de certaines pratiques de l’image avec de nouvelles manières d’interagir à propos et avec des photos et des films, qui ne se substituent pas aux pratiques antérieures mais déploient de nouveaux territoires et font émerger de nouveaux enjeux politiques, sociétaux, éthiques et méthodologiques. L’analyse de l’interprétation des images doit prendre non seulement en compte l’articulation « stratégique » des signes visuels de l’image à la surface de l’écran, leur actualisation dans un dispositif de production et de réception numérique (par exemple la nature « calculée » de l’image telle qu’elle se manifeste dans les mécanismes de calculs de sens ; ou les marqueurs émotionnels imposés par certaines plateformes), mais aussi de façon centrale l’étude des savoirs culturels, des « interprétants » individuels et collectifs (Boutaud et Veron, 2007), ainsi que l’analyse des régimes de représentation, saisis ici comme opérant un travail signifiant qui participe de la construction de la réalité dans l’espace social (Cervulle, 2017). 

Art, politique et expériences spectatorielles

La dimension politique des arts, saisie ici du côté de la réception, autorise à penser la réception au prisme de la notion d’expérience et implique de mettre au jour le complexe de médiations qui l’accompagnent et la cadrent. Un tel projet marque une distance avec, d’une part, des travaux qui limitent l’objectif des enquêtes en réception à la description socio-morphologique des publics, qu’il s’agisse de la situer en regard de la stratification sociale des pratiques culturelles ou des limites des visées de « démocratisation culturelle » et décentralisation portées par les pouvoirs publics. Il s’éloigne, d’autre part, des recherches exclusivement focalisées sur les processus de sémantisation et interprétation engagés par les publics face aux œuvres. Rendre compte de l’expérience spectatorielle, entendue au sens de la relation vécue des publics à des œuvres, mais aussi à des institutions culturelles et aux dispositifs qu’elles déploient, requiert d’apprécier les conditions sociologiques des pratiques de sémantisation et interprétation, liant ainsi deux plans de la recherche sur les publics trop souvent dissociés. Il s’agit ensuite d’aller au-delà de cette activité de rationalisation que constituent la sémantisation et l’interprétation, pour appréhender les formes sociales du plaisir et la connaissance incorporée qui le rend possible, et donc les types d’engagement corporel et émotionnel des publics (Leveratto, Jullier, 2010). Selon cette perspective, l’étude de la réception ne saurait être dissociée d’une analyse critique des figures du public construites par les institutions culturelles, les intermédiaires culturels ou les pouvoirs publics, afin de la configurer voire de la réguler. Enfin, le CÉMTI se saisit aussi de la question de la place de la recherche-création dans l’épistémologie des SIC (Bouchardon, 2013) et la manière dont elle peut participer d’un renouvellement de la réflexion sur l’expérience corporelle et émotionnelle dans le dispositif d’enquête. Travailler (sur) les intersections entre art(s) et politique(s) suppose un engagement au fondement duquel la réflexion et la théorisation sont de mise. Il s’agit d’imaginer un pont entre la performance comme acte politique et la recherche en sciences humaines et sociales, une plateforme d’échanges où se rencontrent artistes et chercheur·e·s pour produire ensemble, au-delà des seuls amphithéâtres ou des salles de spectacle.

Médias, médiatisations et logiques d’appropriation

Les dispositifs de médiatisation et de médiation saisis entre communication, culture et politique, sont dans le prolongement des travaux fondateurs du CÉMTI. Les médias sont considérés tant du point de vue de la relation entre producteurs, contenus et récepteurs, que de celui des opérations de construction, de légitimation et de contestation de ces dispositifs, que ce soit par des acteurs privés, des acteurs publics, que par des acteurs collectifs. Les transformations des pratiques journalistiques — au cœur du Web et sous sa contrainte — n’obèrent pas un certain nombre d’invariants : les dispositifs de certification de l’information restent en général les mêmes. La difficile gestion, par les professionnel·le·s de l’information, des interactions directes avec les internautes et l’intégration lente et très progressive des productions de non professionnel·le·s de l’information fait partie des terrains d’étude du CÉMTI, tout comme l’intégration dans l’information numérique de nouveaux métiers (infographistes, webdesigners, développeurs, référenceurs, etc.) obligeant à trouver de nouveaux « arrangements », ou l’étude des collaborations ou partenariats dont l’initiative revient aux directions, entre le titre de presse et les réseaux sociaux, nécessitant de leur part de créer des contenus ad hoc, spécifiquement pensés pour des plateformes différentes de celles pour laquelle ils travaillaient initialement. Dans un environnement national et international, la connaissance des publics de l’information, l’éducation aux médias – qui a été un des axes historiques du CÉMTI avec les travaux de Geneviève Jacquinot –, et la prise en compte des usages pour la connaissance du processus informationnel, s’articulent avec des perspectives de recherche où la problématique de l’indépendance de l’information et la circulation potentielle de ce que l’on appelle aujourd’hui les fake news constituent des cadres d’analyse pertinents pour comprendre l’élaboration, la circulation et la réception de ces contenus. Les usages informationnels des jeunes adultes, couplés aux logiques de mise en place de stratégies alternatives dans la recherche de sources d’information et aux dispositifs de sites d’information participatifs, sont étudiés en particulier. Enfin, les conséquences de ces reconfigurations sur l’enseignement du journalisme et des métiers de la communication sont à considérer.

Logiques de production des plateformes et usages résistants

Au-delà du champ professionnel des médias, les plateformes de publication, d’édition et de partage numériques viennent reconfigurer les logiques des industries culturelles et créatives « traditionnelles » et leurs publics. Les plateformes s’accaparent des attentions, rétrécissant les circulations et les pratiques d’expression des publics dans le but de les rendre calculables et exploitables. Régissant les plateformes les plus courantes, sous couvert d’empowerment de l’usager et de partage, les GAFAM imposent un modèle économique spéculatif, reposant sur le recueil des données personnelles, le profilage, l’intermédiation et l’imposition de formats d’expression hautement contraints. La logique sociale de ces liaisons numériques repose sur la multiplicité des objectifs visés par les différentes facettes de ces marchés multiversants et des acteurs qui s’y retrouvent : curiosité, divertissement, reconnaissance, sociabilités, échanges, participation, collaboration (crowdsourcing), consommations, du côté des utilisateurs ; accès à un public, valorisation des espaces publicitaires, modalités alternatives de financement (crowdfunding), du côté des éditeurs de contenus ; accès aux prospects et à leurs caractéristiques précises, du côté des annonceurs ; valorisation des espaces publicitaires, narrations des données et valorisations financières des potentialités offertes par le développement de services, du côté des plateformes elles-mêmes. Il faut engager la réflexion sur les enjeux que représente ce modèle social et économique pour les contenus culturels, textes, images, vidéos qui y circulent, pour les pratiques médiatiques des usagers et « produsers », et pour la société. Les conditions de production à l’œuvre sur les plateformes affectent la place du producteur de contenu, et la notion même d’auteur. Le statut de l’auctorialité sur les plateformes sera interrogé : sa massification, sa normalisation tout en même temps que sa précarisation, notamment à partir des représentations de l’auteur dans les discours d’accompagnement (simulacres du statut d’auteur et d’expert. Les questions d’éthique que posent le fonctionnement des plateformes, et notamment les stratégies liées au « web affectif », seront envisagées dans leur multidimensionnalité : implication politique des contenus échangés ; responsabilité politique du régime d’émotions (Nussbaum, 2010) visées majoritairement par les plateformes ; logiques politiques de connexion généralisée et enjeux spécifiques qu’elles soulèvent selon les contextes socio-économiques, politiques et culturels, en particulier dans des pays dits du Sud ; pistes de régulations, demandes éthiques de la société civile.